Comme deux frères, les os entremêlés, dans le même cratère d’obus

    (les situations décrites ci-après sont imaginaires, mais inspirées)

    Le militaire Célestin nous rapporte qu’il était avec son « pays » Gustave, tous les deux du 93e RI, quand ils ont entendu le sifflement caractéristique du satané obus allemand.
    Par réflexe de protection réciproque, et dirons-nous de survie, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre pour plonger ensemble tête en avant. Tant pis pour la boue.
    Auprès d’eux se trouve leur sergent Louis Joseph. C’est un sous-officier un peu « pays » lui aussi. Né à Gorges en Loire Inférieure où il était viticulteur avant la mobilisation, il est parti avec le 64e RI d’Ancenis. Mais il avait fait son service militaire au 93e RI à la Roche-sur-Yon et avait fait la connaissance de Célestin lors d’une période d’exercices. Ils se retrouvaient là parce que les troupes avaient été regroupées suite aux désastres des combats.
    L’obus n’a pas fait de détail. Il a cisaillé les deux soldats.
    Célestin et Gustave sont au fond du trou, recouverts de terre sanguinolente. Le sergent lui-même blessé va leur porter secours.
    Mais le carnage qui s’est opéré sur les deux corps est repoussant. Le sergent n’écoute pas sa raison et descend dans le cratère. Il va bien en sauver au moins un.
    Il ne trouve que des jambes éclatées, entremêlées. Seuls les bras forment un amalgame qui pourrait ressembler à une étreinte. Les casques ont volé au-dessus du trou. Les têtes ne ressemblent à rien.
    Le sergent Louis Joseph replonge les mains dans le sang chaud, il récupère une plaque d’identification qu’il sait incontournable pour le retour vers son capitaine. Mieux vaut faire vite, les corps risquent de disparaître sous d’autres monceaux de terre propulsés par un autre prochain obus. Il fouille dans la terre labourée, éclatée, ponctuée de morceaux de ferraille parfois tranchants.
    Mais il ne trouve rien dans ce vomi de chair, de terre et de sang. Il vient encore de prendre de la boue plein le visage. Des balles sifflent autour. Il doit s’échapper et rapporter la seule plaque sauvée, qu’il écrase entre ses doigts repliés dans une violente crispation. Il doit rendre compte avant de risquer d’y rester lui aussi, et repartir vers l’ennemi.
    La plaque est identifiée. Elle appartenait à Gustave. Elle est remise au capitaine à qui le sergent fait un rapide compte rendu oral de la mort de ses deux poilus.
    Le capitaine ressort les livrets militaires des deux hommes et consigne la disparition. Une croix dans une case. Demain, si les balles et les obus font une pause un écrit sera ajouté. En attendant il demande au sergent de retourner la nuit venue avec les brancardiers Cartron et Piveteau pour récupérer si possible les corps ou ce qu’il en reste.
    Chose fut faite avant minuit. Mais en guise de corps ce n’est que trois morceaux de jambes qui purent être extraits de la glaise collante qui ne laissait pas aux hommes le plaisir d’une récupération honnête.
    Deux jambes furent attribuées à un possible cadavre de Gustave. On y accrocha sa plaque d’identification. Le tout dans une caisse pour être enseveli rapidement, avant la décomposition annoncée.
    Les deux hommes sont répertoriés sur le livre du capitaine, « tués à l’ennemi ». Plus tard le verdict du cahier les fera devenir « Morts pour la France ».
    Aux beaux jours les « boîtes de cadavres » furent exhumées. On retrouva celle de Gustave, mal en point mais des os et la plaque permirent une autre sépulture. A la réalisation des nécropoles les os de la boîte de Gustave furent à nouveau et finalement ensevelis. Dans une tombe identifiée. Des deux jambes, qui étaient les propriétaires ? Gustave ou Célestin ? Gustave seul ou Célestin seul ? Une jambe à chacun ?
    Peu importe. Une tombe est là, avec un nom. Ce nom est dans le livre récapitulatif de la nécropole. C’est le nom de Gustave puisqu’on est certain de l’identification étant donné que ladite plaque accompagne.
    Célestin a donc été déclaré disparu.
    Pas de plaque, pas d’affectation à des tas d’os. Pas de tombe, pas de livre, pas de liste.
    Et alors !… Célestin nous l’a raconté !… depuis son 06 …

    André, Paul.

    Et encore :

    Voir ci-après, photos dans « l’Anneau de la mémoire » de Notre Dame de Lorette, à Ablain Saint Nazaire (Pas-de-Calais) où il n’y a pas de Célestin DARIET répertorié, comme à Albert, comme partout !…