Félix CARTRON, notre oncle

    Frère de notre grand-mère maternelle, donc notre grand-oncle et, par conséquent, beau-frère de notre grand-père Célestin DARIET.
    Félix et Célestin sont tous les deux « Mort pour la France », Célestin en octobre 1914 et Félix en avril 1918.
    Félix a une tombe militaire, bien identifiée, que nous avons découverte et que nous avons eu grand plaisir à honorer en octobre 2016 lors de notre pèlerinage annuel dans les Hauts de France, dans la Nécropole Nationale « MARISSEL » à Beauvais (Oise).
    Célestin, notre grand-père, n’a pas encore de tombe. Mais il aura « prochainement » son nom, enfin, gravé sur une stèle au plus près du lieu où il a vécu ses dernières secondes.

    Nécropole Nationale « Marissel » à Beauvais (Oise) le 28 octobre 2016

    Célestin est un « Mort pour la France » et, pour l’instant, encore un « Disparu ».

    Félix est un « Mort pour la France », il n’est pas un Disparu. Tant mieux pour lui et pour la famille ! Mais lui aussi a des frères d’armes, disparus, perdus dans les entrailles de nos terres du « Nord » et « Est » français.

    Nous voulons ici honorer ce statut, vers lui qui a cessé de vivre, pour nous, dans le même terrible conflit du début du siècle dernier.

    Nous avons donc choisi de lui parler ici, lui le beau-frère de notre aïeul Célestin.

    ci-dessous le tableau « généalogie CARTRON – DARIET » :

    Les tribulations de félix

    soldat Félix CARTRON, frère de notre grand-mère (Henriette) Marie, épouse de Célestin Jean Marie DARIET

    Félix est né le 16 septembre 1878, au village de la Haute Clavelière, à Saint-Fulgent (Vendée). Deuxième enfant d’une fratrie de six, il est cultivateur auprès de sa mère, veuve depuis décembre 1909, et de ses deux frères François et Auguste, et de son beau-frère Célestin DARIET.

    Mai 1911, Félix choisit d’accompagner ce dernier dans une nouvelle aventure du travail de la terre. Il part donc avec ses deux « apparentés », le couple Célestin et Marie (Henriette Marie) nos futurs grands-parents. Ils quittent Saint-Fulgent et s’installent à La Copechagnière. C’est déjà une aventure, à 20 km de toutes personnes de leurs familles.
    Ils n’achètent pas une ferme. C’est un investissement même pas envisageable pour eux à cette époque. Ils seront donc « fermiers », locataires des terres et de l’habitation.

    Et chez quel propriétaire ont-ils choisi de « louer » leurs bras ?… Chez personne d’autres que chez Mr et Mme Théophile et Benjamine De Tinguy de la Giroulière, les propriétaires du château de La Viollière, à la sortie de l’agglomération, route des Brouzils. Leur bâtiment d’habitation jouxte le château. Ils deviendront nos grands-parents.
    Quel bonheur pour leur benjamine sœur et belle-sœur Léontine CARTRON de suivre leur arrivée dans la nouvelle demeure ; elle exulte de joie et leur souhaite la bienvenue. Elle est servante en ce logis, avant de se marier, plus tard, avec « Dieu » au couvent de Chavagnes-en-Paillers (Vendée).

    Le château de la Viollière abrite aujourd’hui la famille « de Buor de Villeneuve ».
    Une petite-fille de cette famille, Dominique Marie Elyette de Buor de Villeneuve, a épousé le vicomte Philippe de Villiers, créateur et de la saga « Le Puy du fou », homme politique quelque peu retiré des joutes, essayiste, etc…
    Nous sommes donc liés, moralement et économiquement à cette famille.

    Nous sommes en 1911. Il y a du travail pour nourrir les Français et surtout la famille. L’avenir s’ouvre pour ce trio qui attaque labours, semailles et récoltes. Il faut nourrir la maisonnée et payer les fermages.
    Une grande joie pour le couple en 1913 : la naissance de Marie (Marie Henriette). Nous sommes le 13 mars : « 13.03.13 » !
    Nous ne parlons pas de l’Allemagne ! Le printemps s’annonce. La terre se prépare pour les semences. La Copechagnière redécouvre tous ses cultivateurs dans les champs qui préparent, sous le soleil présent et espéré, les produits à consommer et à vendre demain.
    Pâques et ses fêtes se mettent en action pour les croyants catholiques, c’est-à-dire ici pour quasiment toute la population.

    1913 nous quitte.

    1914 arrive !… Marie va avoir un an. C’est la joie chez les DARIET – CARTRON, pour Célestin, Marie, Marie Henriette. Félix accompagne toutes ces joies. Et dans toutes ces joies Henriette Marie et Célestin ne tardent pas à concevoir celle qui s’appellera Célestine, la petite sœur de Marie.

    Le 1er Août s’affiche dans toutes les communes l’ordre de mobilisation générale et le 3 août connait la déclaration de guerre faite par l’Allemagne.
    Célestin et Félix savent ce que cela signifie et quelles en sont les conséquences directes et immédiates. Ils doivent laisser les « deux femmes et demi » dans le village de La Viollière à La Copechagnière. Henriette leur prépare le casse-croûte pour un jour.
    Ils doivent prendre le train à Saint-Fulgent et rejoindre La Roche-sur-Yon. Ils arrivent le 04 août dans leur régiment, le 83e R.I.T. (Régiment d’Infanterie Territoriale), 1er Bataillon, 1ère Compagnie. Ils embarquent dans un train pour Nantes le 11 août, passent par le sud de Paris et enfin débarquent dans le département du Nord, secteurs de Fretin et de Templeuve.

    Entrée de la propriété de La Viollière, la maison d’habitation de la ferme, restaurée entre 2011 et 2017, le château.

    Ils partent habillés en soldat, musette et fusil à l’épaule.
    Espèrent-ils revenir ? Espèrent-ils sauver la France les françaises et les français ? Pensent-ils à leur famille plus ou moins proche, très proche, parents et enfants qu’il faut laisser ? à leurs cultures qui attendent d’être récoltées ? à leurs animaux fidèles compagnons de besogne ? aux mariages et baptêmes programmés ? aux anniversaires et joyeuses fêtes qui leur échappent ?
    Pensent-ils à l’ennemi qui les attend, aux grandes et rapides victoires écrasantes qu’ils vont infliger à ces envahisseurs ? A leur retour prochain pour finir les moissons, récoltes, vendanges, soins aux animaux, entretien de la maison, pratiques à l’église et dans la paroisse ?

    Ils laissent là familles et amis. Imaginent-ils qu’ils puissent ne pas les revoir ? Partent-ils la fleur au fusil comme le clament hardiment les images d’Epinal ?

    Les photos retrouvées montrent des soldats heureux, chantant et trépignant de l’impatience d’aller sauver notre population qui risque l’envahissement dans nos départements du nord.
    C’est une belle image conquérante dans l’entrain d’être utile.
    Le fond du cœur de ces centaines de milliers de militaires, d’hommes, de frères, pères, époux, est-il au diapason ? ? ?… L’euphorie affichée par un groupe est-elle le bon reflet ? Passés la soirée et le repas et quelque fois l’après repas l’endormissement est-il dans la joie sereine au fond des draps. Demain il faudra peut-être bondir, tuer … allègrement !…

    Dix semaines plus tard Célestin est appelé « Mort pour la France ». Qu’est-ce ? C’est nouveau … C’est chez nous, pas chez les voisins. Il ne va pas revenir ? Qui va faire le travail avant l’hiver ?… dans nos champs …Mort au champ d’honneur, mort pour ses enfants, mort pour son épouse qui attend son deuxième enfant, la future Célestine, mort pour la patrie, mort pour sauver nos valeurs, mort là-bas, loin, dans un département que l’on a vu sur les cartes murales de nos classes. Mort !!! et ne reviendra pas, même mort.

    Félix continue sa vie de soldat au 83e RIT et assume son rôle de tirailleur pour faire barrage et sauver notre pays. Il ne sait pas s’il échappera encore longtemps à la tuerie. Il survit et obéit. Il écrit à sa sœur Marie, notre future grand-mère veuve de Célestin. Il assiste à la messe le dimanche ou n’importe quel jour, prie tous les jours et plusieurs fois par jour. C’est la condition ancrée pour que sa vie ait un sens, son peut-être sacrifice aussi.
    Il enterre des camarades, des chefs. Même des gens de son village, de son âge, de sa famille. Prie encore pour eux. Donne des nouvelles aux familles endeuillées. Cela donne un sens à sa situation de survivant puisqu’on lui a inculqué « la vie après la mort ». Donc mourir a un sens. Cela lui donne motivation et courage, courage de continuer, de donner espoir à ses camarades, même un espoir éphémère, mais un espoir au moins pour une vie « après ».

    Félix écrit beaucoup, il a du style, à sa sœur Marie veuve de Célestin, notre future grand-mère, qui, depuis son récent veuvage a rejoint sa famille à Saint-Fulgent, à ses maintenant deux nièces, Marie qui a été rejointe par Célestine, née le 15 janvier 1915.
    Célestine ne connaîtra donc pas son Célestin de papa.

    Lettre de Félix le 11 04 1918 à sa sœur (Henriette) Marie, notre grand-mère

    Félix écrit aussi à sa sœur religieuse chez les sœurs de Chavagnes-en-Paillers, en Vendée. Des échanges riches qui montrent son amour et son sens de la famille, son attachement à son éducation religieuse, son engagement d’homme, son engagement de cultivateur professionnel, ses interrogations sur les animaux et travaux en tout genre.

    Félix écrit et c’est un lien important pour sa famille CARTRON.

    Félix est un fils, un frère et beau-frère, un neveu et oncle et cousin, un cultivateur et un militaire qui obéit, un soutien à ses camarades de combat, un fidèle à sa mission d’obéissance même s’il lui arrive de douter, de s’interroger, de se révolter plus ou moins posément, avec expression ou retenue.

    Les affres de la guerre le conduiront à migrer vers d’autres unités, vers d’autres lieux où la misère des conditions de vie, de survie, n’ont rien à envier aux précédentes. Il est passé au 81e R.I.T. le 10 février 1916 ; au 135e R.I. le 20 janvier 1918 ; au 66e R.I., à la 3e Compagnie de mitrailleurs, le 28 février 1918.

    1915 : emploi massif de gaz par l’ennemi. 1917 : le gaz moutarde tue et pollue les champs de bataille.
    19 avril 1918, cette arme de combat ne l’épargnera pas. Intoxiqué, brûlé mortellement à Rouvrel (Somme), les poumons atteints par ces formes de combat inhumaines, il est évacué à l’arrière dans l’ambulance 1/86 vers Cempuis (Oise).
    Trois jours de soins bienveillants et de souffrances abominables.
    Félix ne survit pas. Il meurt dans la soirée du 22 avril 1918, à vingt heures. Il a 39 ans et 7 mois.
    Il est inhumé dans une tombe individuelle, Croix 20, dans le Cimetière Militaire de Cempuis.
    Par le décret du 25 septembre 1920, sa tombe est transférée, le 10 février 1922, à la Nécropole Nationale « Marissel » à Beauvais (Oise), elle porte le N° 648.

    Nous l’avons retrouvé. Enfin, la croix blanche qui porte ses nom prénom et régiment.
    Le calendrier affichait « 28 – 10 – 2016 », un matin d’automne qui nous a beaucoup ému.
    Il était là, inscrit, le frère de notre grand-mère maternelle. Une grande émotion qui remue les tripes, au bord de la pelouse entretenue, pas labourée et malmenée comme celle qu’il a pu connaitre durant près de quatre années.
    Nous ne connaissons pas encore aujourd’hui le lieu de repos de Célestin. C’est un genre de consolation que de nous recueillir devant celui de Félix.

    La nation a été reconnaissante à titre posthume de ce soldat.
    Citation : à l’ordre du régiment N° 7626 le 05 août 1919 signé par le Maréchal de France Pétain, Commandant en chef des armées françaises de l’Est. « Brave soldat intoxiqué mortellement près de Rouvrel le 19 avril 1918. S’est toujours fait remarquer par son courage et sa bonne humeur ».
    Décoration : Médaille militaire, commémorative de la Grande Guerre, attribuée le 29 septembre 1919, publié au J.O. du 7 novembre 1919.

    Le patronyme CARTRON, de Vendée, dans cette Grande Guerre :
    76 mobilisés, dont les deux frères de Félix, François et Auguste,
    22 sont « Morts pour la France », dont 5 sont inhumés dans une Nécropole Nationale ou Carré Militaire, 13 inscrits sur notre site, considérés comme disparus aux côtés de leurs compagnons militaires, comme Célestin Jean Marie DARIET et son frère Auguste Jean Marie.


    André et Paul Charpentier
    novembre 2020